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mardi 27 septembre 2016

Les crédits d'impôt attachés aux retenues à la source étrangères ne sont pas restituables

La société mère d'un groupe fiscal en situation déficitaire n'est pas fondée à demander le remboursement des crédits d'impôt accordés à raison des retenues à la source acquittées dans différents Etats étrangers sur des intérêts et redevances.

1 Confirmant la position de l'administration, le Conseil d'Etat vient de juger que les crédits d'impôt accordés par les conventions fiscales bilatérales lorsque des intérêts et redevances en provenance de l'étranger ont supporté une retenue à la source ne peuvent pas donner lieu à une restitution.
 
Le crédit d'impôt prévu par une convention internationale qui ne peut être imputé n'est pas restituable

2 La société requérante est la société mère d'un groupe fiscal dont le résultat d'ensemble est déficitaire au titre des exercices vérifiés. Plusieurs filiales ont perçu des intérêts et redevances en provenance de sociétés étrangères qui ont donné lieu au paiement de retenues à la source au profit de l'Etat de résidence de la partie versante. Ces revenus étant compris dans le résultat imposable des sociétés qui les perçoivent, les conventions fiscales bilatérales prévoient l'octroi à leur profit d'un crédit d'impôt égal au montant de l'impôt supporté à l'étranger.

Les conventions fiscales concernées en l'espèce sont celles conclues entre la France et le Brésil, le Canada, la Chine, la Corée du Sud, l'Espagne, les Etats-Unis d'Amérique, l'Inde, le Japon, la Pologne, la République tchèque, le Portugal, la Slovaquie ainsi que la Thaïlande. Sont également concernées celles conclues entre la France et le Maroc ainsi que la Tunisie qui prévoient que la France accorde au résident de France une « réduction » ou une « déduction » de l'impôt dû en France et dont le Conseil d'Etat juge en l'espèce qu'elles ont pour effet d'accorder à ce résident un crédit d'impôt dans les mêmes conditions que celles prévues par les conventions précédemment citées).
Conformément à l'article 223 O du CGI, la tête de groupe est titulaire des crédits d'impôt accordés à raison des opérations réalisées par ses filiales.
N'ayant pu utiliser ces crédits d'impôt comme moyen de paiement de l'impôt sur les sociétés en raison des déficits subis, la société requérante en a demandé la restitution. Mais l'administration a opposé un refus conformément à sa position traditionnelle suivant laquelle les crédits d'impôt conventionnels tombent en non-valeur à défaut d'utilisation immédiate, c'est-à-dire qu'ils ne peuvent être ni remboursés ni reportés pour une imputation sur l'impôt d'un exercice ultérieur.

3 Le Conseil d'Etat juge que la société requérante ne dispose d'aucun droit à obtenir la restitution du montant des crédits d'impôt d'origine étrangère dont ses filiales étaient bénéficiaires. En effet, il ne résulte pas des stipulations des conventions fiscales en litige, ni d'aucune disposition ou d'aucun principe de droit national, que le crédit d'impôt n'ayant pu faire l'objet d'une imputation soit institué par la France au résident bénéficiaire des revenus.

4 La société requérante avançait deux types d'arguments pour contester la position de l'administration. Elle invoquait tout d'abord un « principe général » suivant lequel tout crédit d'impôt ne pouvant faire l'objet d'une imputation devrait pouvoir être restitué à son titulaire. Mais, ainsi que le relève le rapporteur public, Edouard Crépey, le régime des crédits d'impôt est en réalité très variable : certains sont immédiatement restituables, d'autres reportables et éventuellement restituables à l'issue d'un certain délai, alors que d'autres encore ne font l'objet d'aucune restitution. Un remboursement de crédits d'impôt doit résulter des textes qui les régissent.

 
La demande de restitution ne peut être fondée sur l'élimination des doubles impositions

5 La demande de restitution des crédits d'impôt s'appuyait, par ailleurs, sur la finalité des conventions internationales qui est l'élimination des doubles impositions. La requérante soulignait, en effet, que la perte des crédits d'impôt résultant de la situation déficitaire de son titulaire est à la source d'une double imposition dès lors que les revenus concernés qui ont été soumis à une taxation à l'étranger sont compris dans le résultat imposable à l'impôt sur les sociétés de l'entité qui les reçoit.
Bien que la jurisprudence ait expressément reconnu que les conventions fiscales bilatérales ont pour objectif l'élimination des doubles impositions (voir CE 9-11-2015 n° 370054 : INT-ALL-122 fv), le rapporteur public estime que la référence à ce principe n'est pas suffisante pour accorder la restitution demandée en l'absence de clause expresse en ce sens dans le texte des conventions.

6 Ainsi que le rappelle Edouard Crépey dans ses conclusions, les conséquences de la double imposition subie par les sociétés déficitaires titulaires de crédits d'impôt pourraient dans certains cas être limitées par la déduction de la retenue à la source acquittée à l'étranger pour l'établissement du résultat imposable en France. Mais la jurisprudence n'est pas parfaitement arrêtée sur cette question, qui nécessite de distinguer plusieurs situations.
La déduction de la retenue à la source acquittée à l'étranger sur le fondement de l'article 39, 1-4° du CGI est acquise lorsqu'elle a été versée dans un Etat non lié à la France par une convention internationale. Le Conseil d'Etat a en revanche jugé qu'aucune déduction ne peut être pratiquée lorsqu'une clause de la convention s'y oppose expressément (CE 12-3-2014 n° 362528 : BIC-IX-25270 fv). Dans l'hypothèse où la convention fiscale bilatérale ne comporte aucune indication expresse sur ce point, ce qui est fréquent, la cour administrative d'appel de Versailles a admis la déduction de l'impôt étranger par une entreprise placée dans l'impossibilité d'imputer les crédits d'impôt, en raison de sa situation déficitaire (CAA Versailles 18-7-2013 n° 12VE0572 : BIC-IX-25275 fv). L'administration ne s'est pas pourvue en cassation à l'encontre de cette décision et le Conseil d'Etat n'a donc pas eu l'occasion de se prononcer sur ce point.

7 Enfin, il est intéressant de relever que le rapporteur public évoque dans ses conclusions une autre possibilité qui permettrait d'éviter ou de limiter le risque de double imposition. Il s'agirait d'admettre le report de l'utilisation des crédits d'impôt. Une société déficitaire au titre de l'exercice d'octroi du crédit d'impôt pourrait alors l'utiliser pour le paiement de l'impôt dû au titre d'un exercice ultérieur. Il estime que, en l'absence de stipulation expresse qui s'y opposerait dans une convention fiscale bilatérale, l'admission d'un report d'utilisation du crédit d'impôt pourrait être justifiée par l'objet et le but des conventions consistant en l'élimination des doubles impositions. N'ayant pas été saisi de cette question, la Haute Juridiction ne s'est pas prononcée.
Les conclusions du rapporteur ont le mérite d'ouvrir des perspectives sur ce terrain sensible de la neutralité fiscale des flux transnationaux.

La décision

Il ne résulte pas des stipulations des conventions fiscales en litige ni d'aucune disposition ou d'aucun principe du droit national qu'un crédit d'impôt attaché à une retenue à la source acquittée à l'étranger puisse être restitué par la France au bénéficiaire des revenus lorsqu'il n'a pu faire l'objet d'aucune imputation.
La société mère d'un groupe fiscal dont le résultat d'ensemble est déficitaire ne peut donc pas obtenir la restitution des crédits d'impôt transmis par ses filiales correspondant à des retenues à la source acquittées dans divers Etats étrangers à raison d'intérêts et redevances qui leur ont été versés.

CE 27 juin 2016 n° 388984 et 392534, 10e et 9e ch., SA Faurecia : à la RJF 10/16 n° 871, concl. E. Crépey (C 871).

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